L’Autoportrait Photographique: « Reflets Intimes »
Illustration: « Autoportrait », Vivian Maier
Introduction: Une Exploration Intime à Travers l’Histoire de l’Art
Les Origines : Entre Narcissisme et Quête d’Identité
L’histoire de l’autoportrait photographique, intimement liée au mythe de Narcisse, s’enracine dans la fascination de l’artiste pour son propre reflet, un écho lointain des eaux stagnantes de la mythologie grecque. Tout comme Narcisse qui tomba éperdument amoureux de sa propre image, l’artiste se trouve face à un double défi : celui de plonger dans l’introspection la plus profonde et de créer une représentation artistique qui transcende l’égocentrisme inhérent à cette démarche.
Le miroir, un accessoire autrefois indispensable à la réalisation d’autoportraits, demeure une métaphore puissante dans cette exploration visuelle de soi. Cet outil, qui a traversé les siècles, symbolise la confrontation directe avec son propre être. Toutefois, avec l’avènement des technologies contemporaines, l’autoportrait photographique ne se limite plus à la simple reproduction de son reflet dans le miroir. Les artistes explorent désormais des moyens plus complexes et diversifiés pour capturer leur identité, utilisant des caméras, des manipulations numériques et d’autres techniques innovantes.
Dans cette oscillation entre la quête effrénée de son identité et la prétention à représenter l’humanité dans toute sa diversité, l’autoportrait photographique devient un champ d’exploration complexe. D’une part, il est le lieu privilégié où l’artiste se confronte à lui-même, cherchant à saisir les multiples facettes de sa propre existence. C’est une démarche souvent introspective, parfois empreinte de vulnérabilité, où l’artiste expose ses fragilités, ses doutes et ses vérités intérieures.
D’autre part, l’autoportrait photographique transcende l’individualité pour devenir un moyen de représenter l’expérience humaine universelle. En choisissant de se mettre en scène, l’artiste devient à la fois le sujet et l’objet de son œuvre, créant un pont entre son moi intime et le regard extérieur du spectateur. Ainsi, l’autoportrait peut être perçu comme un acte de communication artistique, une tentative de partager une compréhension personnelle de la condition humaine, de ses joies, ses peines et ses questionnements existentiels.
Cette dualité inhérente à l’autoportrait photographique en fait un terrain fertile où se croisent l’introspection individuelle et la volonté de contribuer à un dialogue universel sur la nature humaine. De Narcisse à l’objectif de la caméra, l’autoportrait continue d’évoluer, explorant de nouvelles frontières de la représentation de soi dans l’art contemporain.
La Renaissance et l’Émergence de la Tradition Occidentale
L’évolution de l’autoportrait photographique s’intensifie avec l’avènement de la réforme luthérienne. Cette réforme, en éliminant les intermédiaires entre Dieu et le fidèle, introduit la religion dans la sphère privée. Par conséquent, l’autoportrait devient le reflet d’une volonté de se positionner socialement en cherchant une visibilité accrue. Des œuvres telles que l’Autoportrait frontal de Van Eyck, intitulé « L’Homme au turban rouge » (1433), ou « l’Autoportrait au tournesol » de Van Dyck (1633), une image qui représente parfaitement l’artiste courtisan, illustrent cette nouvelle orientation de l’autoportrait.
L’autoportrait photographique, en tant que manifestation de la conscience de soi, s’inscrit dans cette dynamique de la Renaissance et de la réforme luthérienne. Les artistes, en se représentant, expriment non seulement leur identité individuelle mais cherchent également à s’inscrire dans des structures sociales et à explorer des relations de pouvoir. Cette évolution marque le début d’une riche tradition artistique qui se développera au fil des siècles, allant de la représentation de soi à des desseins plus larges, tels que la représentation de l’humanité dans sa diversité infinie.
Évolution de l’Autoportrait : De la Renaissance à l’Avènement de la Photographie
À la Renaissance, l’autoportrait artistique a connu un essor significatif. Les artistes tels que Botticelli et Michel-Ange ont fréquemment intégré leur propre image dans leurs œuvres, participant ainsi à l’émergence d’une conscience individuelle distincte. Ces autoportraits étaient souvent situés au sein de compositions plus vastes, symbolisant l’artiste en tant que partie intégrante du monde qui l’entoure.
Avec l’avènement de la Réforme luthérienne, l’autoportrait a évolué pour devenir une expression de la volonté de se positionner socialement ou de s’inscrire dans des rapports de pouvoir. Des maîtres flamands tels que Van Eyck et Van Dyck ont illustré cette tendance en créant des autoportraits qui reflétaient leur statut social et leur maîtrise artistique.
Au cours du XIXe siècle, l’invention de la photographie a apporté une dimension nouvelle et révolutionnaire à l’autoportrait. Des pionniers de la photographie tels que Nadar, Louis Daguerre, Hyppolyte Bayard, et Robert Cornelius ont élargi les horizons de l’auto-représentation en introduisant la photographie. Nadar, en particulier, était connu pour ses portraits photographiques, contribuant à établir le portrait photographique en tant que moyen légitime d’auto-expression.
L’autoportrait photographique au XIXe siècle était souvent associé au daguerréotype, une technique photographique précoce. Louis Daguerre, inventeur du daguerréotype, et Hyppolyte Bayard, avec son célèbre « Autoportrait en noyé, » ont exploré cette nouvelle frontière de la créativité artistique, ajoutant une dimension de réalisme saisissant à l’autoportrait.
Robert Cornelius, un photographe américain, a réalisé en 1839 ce qui est considéré comme le premier autoportrait photographique américain. Cette photographie emblématique montrait Cornelius debout devant sa boutique de daguerréotypes, marquant ainsi le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’autoportrait.
Ainsi, entre la Renaissance et le XIXe siècle, l’autoportrait artistique a évolué de représentations intégrées à des compositions plus vastes à des expressions plus personnelles et sociales. L’introduction de la photographie a ensuite ouvert de nouvelles possibilités, élargissant la portée de l’autoportrait et marquant le début de l’ère de l’autoportrait photographique au XIXe siècle.
L’Évolution au XXe Siècle : Entre Introspection et Expérimentation Technique
Au cours du XXe siècle, l’autoportrait photographique subit une métamorphose significative, influencée à la fois par les progrès techniques et les théories psychanalytiques émergentes. Les artistes formés au Bauhaus, tels que Herbert Bayer et Umbo, se plongent dans l’exploration de nouvelles dimensions de l’autoportrait, cherchant à transcender les limites traditionnelles de la représentation de soi. Cette période voit l’émergence d’une esthétique onirique, notamment à travers le travail de figures majeures comme Man Ray, Florence Henri, Claude Cahun ou André Kertész, tous proches du mouvement surréaliste.
L’influence psychanalytique, notamment les idées de Sigmund Freud, commence à se faire sentir dans l’approche des artistes envers l’autoportrait. La photographie devient un moyen d’exploration des recoins les plus profonds de la psyché humaine, allant au-delà de la simple représentation extérieure. Les expérimentations formelles se multiplient, avec des artistes adoptant des techniques novatrices telles que l’anamorphose, la surimpression, et d’autres méthodes qui anticipent les développements futurs de la photographie.
La période du XXe siècle marque ainsi une rupture avec les conventions artistiques établies, ouvrant la voie à une exploration plus libre et expérimentale de l’autoportrait photographique. Les artistes de cette époque, dont Vivian Maier, ont contribué à élargir les possibilités expressives de la photographie en utilisant des techniques avant-gardistes et en repoussant les frontières de la représentation de soi. Cette période de bouillonnement créatif a jeté les bases pour les approches contemporaines de l’autoportrait photographique, caractérisées par une diversité d’esthétiques et de perspectives.
FOCUS sur Vivian Maier: Des Miroirs et des Ombres
L’histoire de Vivian Maier, née en 1926, est celle d’une photographe de rue méconnue de son vivant, dont le travail exceptionnel a été découvert après sa mort en 2009. À travers ses clichés, elle nous transporte dans les rues animées de Chicago, mais c’est dans ses autoportraits que se dessine un reflet intime de son existence.
Maier, une mystérieuse observatrice du quotidien, a passé des décennies à documenter la vie urbaine. Ses autoportraits, souvent capturés à travers des reflets fugaces, offrent une fenêtre unique sur sa vie personnelle. Pris entre les années 1950 et 1990, ces autoportraits, bien que spontanés, témoignent de son exploration constante de sa propre identité et de la complexité de son monde intérieur.
Photographe autodidacte, Maier n’a jamais cherché la célébrité, mais son talent exceptionnel a été révélé bien des années après sa disparition. Ses autoportraits, parfois énigmatiques, se mêlent à l’intrigue de sa vie, ajoutant une couche de mystère à cette artiste singulière. Chaque cliché, pris au gré de ses pérégrinations dans les rues, est une porte ouverte sur l’âme de Maier, nous permettant de contempler l’histoire personnelle d’une femme dont l’objectif était à la fois une extension de son regard sur le monde et un moyen de se confronter à elle-même.
Vivian Maier – Autoportraits
“Je ne suis pas certaine que l’on puisse lire ce ‘moi’ dans les autoportraits de Vivian Maier, ni même suivre l’évolution de sa vie à travers ses images. Nous observons ses autoportraits en quête de révélations, mais elle ne nous livre que très peu de choses. Elle est seule dans ses pensées. Difficile d’imaginer son point de vue. Pas une trace d’émotion ni de réaction. Pas un seul portrait à deux. […]
La force du personnage de Maier réside dans la personnalité qui nous regarde à son tour. Un regard d’une grande intransigeance ; et il est paradoxal, pour une personne aussi secrète et indépendante, que ce soient ses autoportraits qui, à ce jour, se sont avérés ses œuvres les plus marquantes. […]
Il pouvait arriver qu’elle sourît, bien que rarement – Vivian Maier semblait avoir une double vie : sa vie domestique, avec toutes ses contradictions, et sa vie personnelle, dédiée à la création. Elle jetait sur le monde un regard connaisseur, mais ne permit jamais à quiconque de devenir témoin ou spectateur de son travail. On imagine volontiers que cette femme profondément intuitive était une personne difficile : décalée, complexe, vivant dans son monde à elle”, Elizabeth Avedon (auteur et curatrice).
La Nouvelle Direction des Années 1960 : Corps Fragmenté et Sérialité
Les années 1960 ont marqué un tournant majeur dans la pratique de l’autoportrait, avec des artistes tels que Dieter Appelt et John Coplans à l’avant-garde de cette révolution artistique. Ces visionnaires ont choisi de déconstruire l’image conventionnelle du visage et de transcender les limites du portrait traditionnel en explorant le corps fragmenté.
Dieter Appelt, artiste allemand, s’est distingué par son approche avant-gardiste de l’autoportrait. Plutôt que de se contenter de représenter un visage, il a cherché à exprimer la complexité du soi à travers la décomposition du corps en une série d’images. Cette fragmentation délibérée a permis de créer une séquence d’autoportraits captivants, chacun offrant une perspective unique sur l’identité de l’artiste.
Dans une veine similaire, John Coplans, artiste et écrivain, a également embrassé la déconstruction du corps dans ses autoportraits. Ses œuvres mettent en évidence la richesse de l’expression corporelle et la diversité des formes humaines. L’utilisation de multiples images dans une série a permis à Coplans de transcender les contraintes de l’image unique, encourageant une exploration plus profonde de la diversité humaine.
Les années 1980 et 1990 ont vu une continuation de cette exploration, avec des artistes tels que Cindy Sherman émergeant comme des figures clés de cette ère. Sherman, par le biais de ses séries d’autoportraits mis en scène, a remis en question les normes culturelles, en particulier en ce qui concerne les stéréotypes de genre et la construction de l’identité. Son travail a ouvert de nouvelles voies pour l’autoportrait en explorant la performance et la mise en scène.
De plus, des artistes comme Robert Mapplethorpe, Jeff Wall, Nan Goldin, Joel-Peter Witkin, et Florence Chevallier ont également laissé leur marque dans cette période. Chevallier, à travers son travail d’autoportrait photographique, a apporté une dimension poétique et intimiste à la représentation de soi. Sa démarche artistique explore la relation entre le corps, l’espace et le temps, ajoutant une perspective distinctive à l’évolution de l’autoportrait photographique.
Mapplethorpe, à travers son approche esthétique et parfois provocante, a redéfini les limites de l’expression personnelle. Wall, quant à lui, a introduit une dimension cinématographique dans l’autoportrait, explorant les possibilités narratives de cette forme artistique.
Nan Goldin a documenté sa vie et celle de son cercle intime, créant des autoportraits qui capturent la réalité brute et émotionnelle. Enfin, Joel-Peter Witkin a apporté une dimension provocatrice et souvent transgressive à l’autoportrait, confrontant le spectateur à des visions audacieuses et parfois perturbantes du corps humain.
Ainsi, la période des années 1980-90 a été une époque de diversification et d’expérimentation pour l’autoportrait photographique, préparant le terrain pour les défis et les opportunités à venir à l’ère du numérique.
« Nan Goldin battue », Nan Goldin (1984)
« Picture for Woman », Jeff Wall (1979)
« Sans Titre », série « Le Bonheur », Florence Chevalier (2000)
Dévoilement Existentialiste : Regards Contemporains
L’autoportrait photographique, profondément enraciné dans son époque, a connu une transformation significative à l’aube du XXIe siècle avec les avancées technologiques et les changements sociaux majeurs.
L’avènement des téléphones portables équipés d’appareils photo a provoqué une véritable révolution dans la pratique de l’autoportrait. Cette période a été marquée par une prolifération d’autoportraits, en grande partie alimentée par la facilité d’accès à la photographie à travers ces appareils, ainsi que par la montée en puissance des réseaux sociaux.
Le défi contemporain qui se pose aux artistes de l’autoportrait est un équilibre délicat entre la visibilité individuelle et la dissimulation. Thorsten Brinkmann, artiste contemporain, navigue dans ce paysage complexe en explorant le thème de la dissimulation. À une époque où l’exposition de soi est souvent la norme, Brinkmann opte pour la dissimulation, illustrant ainsi une interrogation profonde sur la nature de l’identité à l’ère numérique.
L’avènement du numérique a ouvert de nouvelles perspectives, et Thorsten Brinkmann n’est qu’un exemple parmi d’autres artistes contemporains explorant les potentialités de cette ère. D’autres figures notables, telles qu‘Olivier Cristinat, Kimiko Yoshida, Olivier Culmann, Dita Pepe, Cindy Sherman, et Yasumasa Morimura, illustrent la diversité des approches dans cet univers numérique.
Olivier Christinat, par exemple, s’interroge sur la relation entre la photographie et la peinture, utilisant des autoportraits pour explorer les frontières entre ces deux médiums. Kimiko Yoshida, quant à elle, adopte une approche métaphorique de l’autoportrait, utilisant des costumes et des accessoires pour exprimer des dimensions de l’identité. Olivier Culmann explore les interactions culturelles à travers ses autoportraits, tandis que Dita Pepe crée des autoportraits fictionnels en se mettant en scène dans des rôles variés.
Cette diversité d’approches reflète la richesse et la complexité de l’autoportrait photographique contemporain, où chaque artiste apporte une contribution unique à l’exploration de l’identité à travers l’image.
« The Bride with the Nô Mask », Kimiko Yoshida (2005)
« The Others », Olivier Culmann (2009)
« Photographs from the Archive », Jo Spence (1996)
Artistes Contemporains : Entre Recherche Universelle et Déconstruction Identitaire
La pratique de l’autoportrait photographique, héritière d’une riche histoire artistique, trouve aujourd’hui des expressions variées chez des photographes contemporains tels que Philippe Assalit, Kimiko Yoshida, Zanele Muholi , Yasumasa Morimura et Liu Bolin. Ces artistes explorent l’autoportrait en tant que moyen de recherche universelle et de déconstruction identitaire, repoussant les limites de la représentation de soi.
Philippe Assalit se distingue par son utilisation du corps comme terrain d’exploration, plongeant dans des thématiques profondes telles que la douleur et la transformation. À travers ses autoportraits, Assalit transcende les frontières du physique pour explorer les aspects émotionnels et psychologiques de l’expérience humaine. Chaque image devient une méditation visuelle, capturant l’intensité des émotions et la complexité de la condition humaine. En utilisant son corps comme un canevas, Assalit nous invite à une introspection profonde, remettant en question notre compréhension même de la vie et de la souffrance.
Dans une démarche artistique différente mais tout aussi captivante, Kimiko Yoshida aborde l’autoportrait comme une disparition, un effacement de l’identité sous un masque. En se plaçant elle-même comme modèle de ses photographies, Yoshida défie les stéréotypes et déterminismes culturels. Chaque image devient une métamorphose, une exploration des multiples facettes de l’identité. Le masque devient à la fois un moyen de dissimulation et de révélation, questionnant la nature même de ce que nous choisissons de montrer au monde et ce que nous préférons dissimuler. Yoshida nous invite ainsi à réfléchir sur les constructions sociales et culturelles de l’identité, tout en célébrant la diversité et la fluidité de l’expression de soi.
Zanele Muholi, par le biais de son travail photographique, offre une perspective essentielle sur l’autoportrait en explorant les questions de l’identité de genre et de la diversité sexuelle. Ses images captivent et défient les normes préétablies, mettant en lumière la beauté et la complexité des identités souvent marginalisées. Muholi, en tant qu’artiste engagé, utilise l’autoportrait comme un moyen de militantisme visuel, élargissant ainsi la portée de cette forme artistique.
Yasumasa Morimura, quant à lui, réinterprète des œuvres classiques à travers l’autoportrait, interrogeant ainsi les constructions culturelles et artistiques. Son travail érudit et provocateur nous incite à repenser la relation entre l’individu et l’héritage culturel.
À travers ces approches singulières, Philippe Assalit, Kimiko Yoshida, Zanele Muholi et Yasumasa Morimura enrichissent le dialogue contemporain sur l’autoportrait photographique. Leur travail va au-delà de la simple représentation visuelle pour devenir une exploration profonde de l’âme humaine et de la diversité des expériences individuelles. Dans une époque marquée par la recherche incessante de soi et la remise en question des normes établies, ces artistes offrent des perspectives uniques qui résonnent avec les préoccupations et les aspirations de notre temps
Liu Bolin, artiste chinois contemporain, se distingue par sa capacité à se fondre littéralement dans son environnement, créant des autoportraits visuellement frappants. Surnommé « L’homme invisible », Bolin utilise la technique du camouflage pour se dissoudre dans le décor qui l’entoure. Chaque image est méticuleusement orchestrée, exigeant des heures de préparation où Bolin est peint à la main pour se fondre parfaitement dans le paysage. Ses autoportraits deviennent des reflets visuels puissants de son rapport avec le monde qui l’entoure, interrogeant la notion d’identité individuelle dans le contexte de la société moderne. Le travail de Liu Bolin transcende le simple autoportrait pour devenir une méditation profonde sur la relation complexe entre l’individu et son environnement, illustrant visuellement le besoin universel de se fondre et de se distinguer simultanément.
Conclusion : Réflexions sur l’Humain à Travers les Âges
En contemplant l’évolution de l’autoportrait photographique à travers les siècles, une constante émerge : la recherche inlassable de soi et l’exploration infinie de l’identité humaine.
Depuis les premiers autoportraits picturaux de la Renaissance jusqu’à la prolifération contemporaine sur les réseaux sociaux, cet art visuel a captivé les esprits et suscité des interrogations profondes. En fin de compte, l’autoportrait photographique révèle que notre rapport à l’image et à la représentation de soi est inextricablement lié à notre époque et à notre compréhension de l’existence.
Les prémices de cette forme artistique remontent à une époque où l’individu commençait à se percevoir comme une entité distincte. À la Renaissance, des artistes tels que Botticelli et Michel-Ange ont incorporé leur propre image dans des compositions plus vastes, signalant un changement dans la perception de soi. Avec la réforme luthérienne, l’autoportrait devient le reflet des aspirations sociales et des rapports de pouvoir, illustré par des maîtres flamands tels que Van Eyck et Van Dyck.
La tradition occidentale de l’autoportrait atteint son apogée au XIXe siècle avec l’avènement de la photographie. Des pionniers tels que Nadar, Louis Daguerre, et Hyppolyte Bayard transforment la pratique artistique en permettant une représentation plus fidèle et accessible de soi. L’autoportrait photographique devient ainsi un moyen d’explorer les multiples facettes de l’identité à une époque où la photographie ouvre de nouvelles possibilités expressives.
Au XXe siècle, cette forme artistique évolue sous l’influence des progrès techniques et des théories psychanalytiques. Des artistes formés au Bauhaus explorent de nouvelles dimensions de l’autoportrait, tandis que d’autres, proches du surréalisme, expérimentent des techniques novatrices. La période des années 1960 marque un tournant majeur avec des artistes comme Dieter Appelt et John Coplans déconstruisant l’image conventionnelle du visage pour explorer le corps fragmenté.
Les années 1980 et 1990 voient émerger des figures marquantes telles que Cindy Sherman, Robert Mapplethorpe, Jeff Wall, Nan Goldin, et Joel-Peter Witkin. Chacun apporte sa propre perspective à l’autoportrait, remettant en question les normes culturelles et explorant la complexité de l’identité humaine.
Avec l’avènement du numérique au XXIe siècle, l’autoportrait photographique se démocratise grâce aux smartphones et aux réseaux sociaux. L’artiste contemporain Thorsten Brinkmann choisit la dissimulation comme moyen d’interroger la nature de l’identité à une époque où l’exposition de soi est omniprésente.
Enfin, des artistes tels que Vivian Maier, Philippe Assalit, Kimiko Yoshida, et bien d’autres, témoignent de la diversité des approches contemporaines. L’autoportrait devient un moyen de recherche universelle et de déconstruction identitaire, reflétant les préoccupations et les défis de la société actuelle.
En conclusion, l’autoportrait photographique persiste comme un miroir reflétant notre quête éternelle de compréhension de soi. De la Renaissance à l’ère numérique, chaque époque a laissé sa marque sur cette forme artistique, rappelant que l’humanité, à travers les âges, a cherché à saisir son essence à travers le prisme de l’image.
Liste non exhaustive d’acteurs majeurs de l’autoportrait photographique
- Hippolyte Bayard (1801-1887): Pionnier de la photographie, son « Autoportrait en noyé » (1840) est l’un des premiers exemples d’autoportrait photographique, marqué par la fiction, la rébellion et la liberté.
- Robert Cornelius (1809-1893): Connu pour avoir réalisé l’un des premiers portraits photographiques de lui-même en 1839, marquant le début de l’exploration de l’identité à travers l’autoportrait photographique.
- Man Ray (1890-1976): Figure majeure du mouvement surréaliste, Man Ray a utilisé l’autoportrait pour exprimer des concepts oniriques, comme dans son « Autoportrait au nu mort » (1930).
- Ilse Bing (1899-1998): Pionnière de la photographie de rue, ses autoportraits dégagent une sensibilité artistique distinctive, souvent influencée par l’esthétique surréaliste.
- Claude Cahun (1894-1954): Artiste et écrivaine, elle a défié les normes de genre et de sexualité à travers ses autoportraits subversifs et expérimentaux.
- John Coplans (1920-2003): Artiste conceptuel, ses séries d’autoportraits nu, où son propre corps devient la toile, ont contribué à redéfinir les limites de l’autoportrait photographique.
- Lee Friedlander (né en 1934): Photographe documentaire, Friedlander a intégré l’autoportrait dans ses œuvres, capturant souvent sa propre ombre ou reflet dans des contextes urbains.
- Dieter Appelt (né en 1935): Connu pour son exploration innovante de l’autoportrait, notamment à travers des séries photographiques, il a ouvert de nouvelles perspectives dans la représentation de soi.
- Robert Mapplethorpe (1946-1989): Photographe controversé, ses autoportraits, souvent empreints de provocation et d’érotisme, sont devenus emblématiques de son style distinctif.
- Jeff Wall (né en 1946): Connu pour ses photographies mises en scène de manière cinématographique, Wall a également exploré l’autoportrait en tant que moyen d’interroger la nature de la représentation visuelle.
- Arno Rafael Minkkinen (né en 1945): Photographe américano-finlandais, Minkkinen est connu pour ses autoportraits en lien avec la nature, fusionnant son corps avec le paysage de manière poétique.
- Martin Parr (né en 1952): Photographe documentaire, ses autoportraits occasionnels offrent un regard sur son propre rôle en tant qu’observateur socioculturel.
- Nan Goldin (née en 1953): Célèbre pour son approche documentaire de la vie quotidienne, Goldin a également incorporé des autoportraits dans son exploration intime des relations humaines.
- Cindy Sherman (née en 1954): Reconnue pour ses mises en scène provocantes où elle joue différents rôles, Sherman a redéfini l’autoportrait en tant que performance artistique et critique sociale.
- Sophie Calle (née en 1953): Artiste conceptuelle, elle intègre fréquemment l’autoportrait dans ses projets narratifs, interrogeant la frontière entre la vie privée et la sphère publique.
- Francesca Woodman (1958-1981): Artiste conceptuelle, elle a utilisé l’autoportrait pour explorer des thèmes tels que la féminité, le corps et l’espace, créant des images empreintes de mystère.
- Orlan (née en 1947): Artiste contemporaine, Orlan utilise l’autoportrait dans le contexte de la chirurgie plastique pour explorer les normes de beauté et de la représentation du corps.
- Vivian Maier (1926-2009): Photographe de rue américaine, Maier a laissé derrière elle un vaste corpus d’autoportraits découverts après sa mort, offrant un regard sur sa vie privée.
- Zanele Muholi (né en 1972): Militant et artiste visuel sud-africain, Muholi utilise l’autoportrait pour explorer les questions de genre, de sexualité et d’identité, offrant une perspective unique depuis l’Afrique du Sud.
- Liu Bolin (劉勃麟, né en 1973 dans la province de Shandong, Chine) est un artiste chinois. Il vit et travaille à Pékin. Artiste performer, activiste et contestataire, connu internationalement pour ses photographies de lui-même dissimulé dans ses paysages, ce qui lui vaut le surnom de « l’homme invisible ». Exposant dans les musées et galeries à travers le monde, ses œuvres les plus populaires sont Hiding in the city (« caché dans la ville »), une série photographique qui a débuté en tant que performance en 2006.
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